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LA MAISON DE BARBERINE

Les outils agricoles vallorcins (II)

25 Juillet 2005 , Rédigé par Patrick Publié dans #Outils Vallorcins

Nous avons, dans le n° 1, quitté le lecteur après avoir traité des outils servant aux plantations et aux semailles. Nous l'invitons maintenant à regarder avec nous les outils servant à la récolte.

 

RECOLTE

Certaines plantes sont cultivées pour leur partie souterraine: pommes de terre, betteraves (raves, choux-raves: râva-tsu); on les récolte en les extrayant, en les arrachant du sol. D'autres sont cultivées pour leurs parties externes (céréales; herbe); on les récolte en les coupant. On coupe de même les tiges de pommes de terre.

 

Extraction

On se servait soit des outils qui avaient servi à la préparation du sol (type bêche, type houe) soit d'outils plus spécialisés du type croc. A Vallorcine, pour extraire les pommes de terre, on se servait d'un petit capion à deux dents. Cet outil est du type houe, car ses dents forment un angle droit avec le manche (cf. E v'lya n° 1, p. 12) Pour ce qui est des betteraves, etc., on les arrachait à la main, par le bouquet de feuilles. Ici, comme pour les outils servant à la préparation des sols, on ne se servait pas à Vallorcine d'outils du type bêche, ce qui semble constituer une originalité par rapport au reste du monde rural.

 

Coupe

Avant de parler de l'outil qui sera la vedette de ce chapitre, la faux, disons quelques mots de son ancêtre: la faucille, encore utilisée pour certains ouvrages, à Vallorcine, jusqu'à ce jour. La faucille est en effet un des outils les plus anciens de la civilisation occidentale. On en trouve dès le néolithique (Ve millénaire av. J.C.) en pierre, puis, dès l'âge du bronze (environ 1700 à 800 av. J.C.) en métal; à l'âge du fer, elle adopte la forme et le matériau que nous connaissons encore. Rappelons que la faucille est un outil à lame en forme de croissant, monté à soie sur un manche court; le bord externe de cette lame est renforcé ou non (cf. exposition au musée vallorcin à Barberine, été 1988). A Vallorcine on l'utilisait pour toutes les opérations où l'on a par la suite utilisé la faux.

La faux a d'abord servi pour couper l'herbe; son emploi pour la moisson des céréales remonte seulement à la deuxième moitié du XVIIe siècle, probablement plus tard en Savoie.

On distingue les faux dont la potence (poignée du milieu) est placée dans le sens de la lame, on les appelle faux à lame tirée. Les autres, dont la potence est placée dans le sens opposé à la lame, sont appelées faux à lame poussée. C'est le type utilisé à Vallorcine.

La faux est accompagnée de plusieurs outils servant à son entretien. En effet, il faut battre la lame sur une enclumette: antsaple, avec un marteau: lou marté. La pierre à aiguiser est conservée dans son étui: le coffi, qui, à Vallorcine, est en bois, alors que souvent ailleurs il est en métal ou en corne, et elle trempe dans un peu d'eau (1).

 

GERBAGE ET AUTRES OPERATIONS
PRECEDANT LE RAMASSAGE

Une fois la récolte effectuée, on ne va pas tout de suite la ramasser et la stocker: il reste encore, pour les différentes cultures, un certain nombre d'opérations à effectuer.

Pour les pommes de terre: il va falloir les faire sécher brièvement sur place; ensuite on les classe par grosseur, à la main, en se servant de deux bnètes (1).

En ce qui concerne le foin, on l'étale pour qu'il sèche, avec un râteau, lou râté, (1) à dents espacées, en bois. Le foin étalé sur le pré sèche au soleil, mais il ne peut rester ainsi toute la nuit, sinon il serait trempé de rosée. Pour réduire la surface en contact avec la rosée, on le dispose en bandes parallèles, qu'on réunit ensemble de manière à former des valamonts (sortes de gros tas); on utilise pour cela un râteau de bois. On défera ces valamonts et on étendra de nouveau le foin le lendemain quand la rosée sera dissipée et que le soleil brillera de nouveau, et cela jusqu'à ce que le foin soit sec et bon à rentrer. Naturellement, en cas de pluie intempestive, il vaut mieux que le foin soit en valamonts, qu'étalé.

Pour les céréales enfin, on n'utilisait pas à Vallorcine de faux armée pour couper et coucher sur le sol la valeur d'une javelle, ni de sape, ni de javeleuse. Or, il faut savoir que quand on fauche un pré, on sort l'andain (rangée de foin ou de céréales fauchés et déposés sur le sol), en revanche quand on fauche des céréales on rentre l'andain, c'est à dire qu'on le ramène contre ce qui n'est pas encore fauché. C'est pourquoi il fallait que des ramasseurs (en général les femmes) suivent les faucheurs pour tasser avec une faucille à ramasser tenue de la main droite, les épis réunis de la main gauche, en javelles (petites bottes qui, une fois regroupées, forment une gerbe.) Ces gerbes étaient formées de javelles liées trois par trois et que l'on dressait sur le sol.

 

RAMASSAGE ET CHARGEMENT

Les pommes de terre, entassées dans deux bnètes ou hottes différentes suivant leur grosseur, sont rapportées à la maison à dos d'homme (ou de femme).

Le foin est rassemblé au râteau en trosses ou fagots qui étaient maintenues par des cordes avec des arrêts de corde ou truyes généralement marqués au fer rouge des initiales du propriétaire (1). Ce sont des pièces de bois percées d'un ou deux trous où passe la corde, qu'on noue d'une manière particulière. Ces trosses sont rapportées à la grange, à dos d'homme, ou dans des luges et, plus tardivement, dans des chars tirés à bras d'homme dans les endroits plats. On se sert du fenieu, râteau de bois à dents rapprochées, pour récupérer le maximum de petit foin que l'on remporte à la grange dans une toile: le paillet.

Pour les céréales, disons simplement qu'on rassemble les gerbes et qu'elles sont entassées dans la grange en attendant le battage. Remarquons qu'à Vallorcine on ne se servait pas de fourches en bois comme on le fait dans d'autres endroits de Savoie, ni pour faner, ni pour manipuler les gerbes, la paille, le foin, (construction de meules) ni pour charger, décharger, distribuer à l'étable, etc.; en revanche on utilisait le fer à foin ou crâsson pour tirer une certaine quantité de foin entassé dans la grange, et une scie à foin pour découper les bottes de foin entassées (1).

Les pommes de terre stockées dans les caves, le fourrage dans les granges, nous allons maintenant parler du grain qui nécessite un traitement plus complexe.

 

BATTAGE ET NETTOYAGE DU GRAIN

Une fois les céréales récoltées, on doit encore extraire les grains de l'épi, et ensuite obtenir un grain débarrassé de toutes les impuretés. Pour cela, on a recours à trois types de procédés.

Le premier, que certains se rappellent avoir vu pratiquer à Vallorcine, est certainement le plus ancien. Il s'agit du chaubage. Ce procédé consiste à saisir tout ou partie d'une gerbe et à en frapper la tête sur une surface dure; les grains détachés par le choc glissent sur le sol.

Cette opération était en général complétée par le battage au fléau: l'ifleye. Le fléau est un instrument très ancien puisqu'il a probablement fait son apparition dans le domaine gallo-romain vers le IVe siècle après J.C. (1). On battait soit tout de suite après la moisson en plein air sur une aire, le foué, soit en hiver dans les granges.

Vient ensuite le temps du vannage, opération qui consiste à séparer le grain de l'enveloppe. Le van est le plus souvent un panier en osier en forme de grande coquille, sans rebord d'un côté et muni de poignées latérales (1). On l'agite dans un courant d'air léger, le grain soulevé s'échappe vers le sol tandis que les impuretés s'envolent. Au XIXe siècle, il a été remplacé par le tarare actionné à la main (1). On stockait ensuite le grain dans des coffres à grain.

Au terme de cette étude, quelques remarques s'imposent. Tout d'abord, si nous avons noté que les outils vallorcins s'insèrent sans aucun doute dans un contexte français et même européen, nous devons souligner d'une part que certains outils ailleurs utilisés n'ont jamais existé à Vallorcine où la pauvreté a conduit les paysans à se servir avec ingéniosité du même outil pour des usages variés; d'autre part que les conditions naturelles, en particulier le relief, ont exigé la création d'outils originaux. Rappelons entre autres le solevieu, le fasseu, la delabre (cf. n° 1 d'E v'lya). La très bonne technicité de ces outils ainsi que leurs noms originaux témoignent donc non seulement de notre passé, mais encore en signalent la richesse et l'inventivité; c'est pourquoi nous pensons que ces outils méritent d'être intégrés pleinement à notre patrimoine local, mais aussi au patrimoine universel.

Nota: Le classement typologique utilisé dans cet article est celui des A.T.P. (Techniques de production: l'agriculture, par Mariel J. Brunhes Delamare et Hugues Hairy).

Merci à M. et Mme Camille Ancey pour leur aide et leurs renseignements pertinents ainsi qu'à tous ceux qui nous ont apporté des compléments d'information, en particulier lors de l'exposition à la Maison de Barberine, musée vallorcin.

Françoise et Yvette Ancey

(1) Cf. exposition.

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