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LA MAISON DE BARBERINE

Un témoin de la Révolution,

25 Juillet 2005 , Rédigé par Marc Burnet, Françoise et Charles Gardelle Publié dans #Personnages Vallorcins

Vincent Burnet est né à Vallorcine le 11 octobre 1756 et selon la coutume il fut baptisé le même jour par le curé Cruz. Il se marie vingt et un ans plus tard avec Marie-Josephte, fille de Joseph Bozon du Bettet, auteur du journal qui servira de base au livre de madame Levi-Pinard sur Vallorcine au XVIIIe siècle. En tenant son journal, le gendre va suivre l'exemple de son beau-père (1), ce qui n'est pas rare dans la vallée: l'instituteur Semblanet, Sourzériard comme Vincent, en offre un autre exemple.

Vincent semble n'avoir jamais quitté son village ni pratiqué l'émigration saisonnière. Sans doute était-il assez à l'aise pour pouvoir l'éviter: il a plusieurs vaches et sa réserve de gruyère.

Il habite non loin de la cure où se réunit le conseil dont il fait souvent partie, bien que la tâche lui pèse. Cette fonction, et sa répugnance à parler de lui-même ou de sa famille, feront de son journal une histoire de Vallorcine, voulue comme telle, et qui va de la fondation de la communauté au XIIIe siècle, jusqu'à l'époque qu'il a vécue et qu'il relate, de 1770 à 1818 (il meurt le 26 juin 1823).

Il accorde beaucoup d'importance au climat, facteur essentiel pour le paysan, alpin surtout. Il note les avalanches, les printemps tardifs entraînant mauvaises récoltes et disettes. L'alpage de Loriaz tient une bonne place: le vol du chaudron de cuivre, l'annexion de l'alpage de la cure, les montées tardives, la neige d'août entraînant la corvée de foin, la désalpe précipitée.

Le journal est surtout un précieux témoignage sur une époque politique capitale. Les Vallorcins sont informés par Martigny où ils vont au marché le lundi et où ils cultivent leur vigne. En cette année du bicentenaire, il faut se rappeler que la Savoie en 1789 n'est pas française, mais "sarde". Cependant les nouvelles parviennent assez vite: d'abord la Grande Peur ("Il ne se parle que de brigandage de tous cotez") (2), ensuite le 14 juillet, à propos duquel, sans mentionner la prise de la Bastille, Vincent écrit: "Ils ont commencé une révolte populaire dans toute la France, c'est bien extraordinaire". En revanche il ne dit rien de la suppression des droits féodaux, et pour cause; en 1786, la vallée les avait rachetés: "Vallorcine a payé 600 livres et on na payé en deux fois".

En septembre 1792, la Savoie est envahie et rattachée à la France. Vincent décrit les nouvelles institutions. Surtout il évoque le passage des émigrés. "On na couché icit au Sizeray quarante prêtres le 25 septembre (...) Il est étonnant, il y apacé depuit le 24 du dit mois (février 1793) des prêtres de dix à vingt par jour." D'abord ses sentiments ne font que transparaître: "Toute la paroisse estois apellé au Chamouni pour un conseiller général et par bonneur qu'il est venu une grosse lavanche par les Montets."

La persécution religieuse le choque profondément: "C'est triste monsieur le curé est resfugié en Valais (en réalité très près de là, aux Jeurs) et on n'antand plus la cloche." L'opposition à la Révolution croît avec la levée des conscrits que les Vallorcins refusent. Les soldats français occupent la vallée et les conseillers doivent les accompagner dans leur recherche des réfractaires: "A quelle triste promenade." Mais quand de jeunes Vallorcins rejoignent les troupes sardes qui tentent de recouvrer la Savoie, Vincent, bien qu'anti-français, blâme leur imprudence.

Vers la fin de la période révolutionnaire, l'auteur note les mouvements de troupes à Martigny, le pillage du Valais par les Français en 1798, le retour des Autrichiens, le passage du Grand Saint-Bernard par Bonaparte. Puis commence la partie du journal consacrée à l'Empire, et à la Restauration sarde que nous évoquerons dans un numéro ultérieur.

Si Vincent parle peu de lui-même, les traits de sa personnalité transparaissent: prudence, foi religieuse, solidité du jugement, curiosité à l'égard des informations venant du monde extérieur. Témoin de quatre régimes différents et de deux occupations militaires, il nous fait connaître les souffrances que les Vallorcins de son temps ont surmontées grâce à leur patience et à leur solidarité.

Marc Burnet, Françoise et Charles Gardelle

(1) Ce journal de 80 pages était déposé au presbytère, et un double photocopié avait été remis aux Archives. L'un et l'autre sont égarés.

(2) Orthographe du manuscrit respectée.

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